La mer et ses activites |
De la pêche en bateau à la balade en pédalo, il existe trente-six façons de profiter de la Méditerranée. Et surtout de la Corse. Récit.
Je me souviens. Le bateau immobilisé sur une mer agitée d’un léger roulis, au large des Sanguinaires. Pascal, debout sur le bateau, son fil et son appât à la main, inspectant les fonds. Avant de jeter le petit poisson lesté qui, après avoir brillé quelques instants, disparaîtra dans le noir du fond. Où, peut-être, l’attend « le » denti ou à défaut une murène qui, comme lui, si elle est prise, tentera de s’enfuir en entortillant le fil autour des pierres. Alors, plus tard, si c’est le cas, quand on revient relever les lignes, on tirera en vain. En pensant à une grosse prise, avant de constater, déçu, que le fil est coincé. Il faudra le couper et l’abandonner. Ou, plein d’espoir, plonger pour voir « s’il y a quelque chose au bout » et, éventuellement, remonter la prise à la main.
Mais en attendant, Pascal, qui ne dit plus un mot, tangue en regardant la mer. Les deux pieds calés dans le semi-rigide italien à moteur. En tentant de repérer le fond sablonneux et les algues où, pense-t-il, se trouve le denti. Parce qu’il en déjà pris là. Parce qu’il sent bien l’affaire. Un peu comme un turfiste qui coche les cases de son quinté en mêlant la connaissance qu’il a des chevaux, de leur jockey, et le hasard.
Et, à ce moment-là, Pascal, il ne faut pas lui parler. Et, si on le fait, il s’énerve : « Je te l’ai déjà dit. On ne me dérange pas quand je cherche mon fond ». Comme si sa pêche, ou même sa vie en dépendaient.
L’affaire terminée, on conduira le bateau quelques dizaines ou centaines de mètres plus loin et on recommencera l’opération avec une autre ligne. Puis, une autre. À chaque fois, la ligne posée, on laissera le bouchon, avec au milieu, les petits bouts d’agglomérés blancs qui, détachés, permettront ensuite de savoir si un poisson a mordu, et donc tirer et enrouler le fil. Une inspection qu’on fera une heure plus tard, en fin de journée, ou même le lendemain, si l’on ne craint pas qu’un pêcheur de passage vienne voler la prise. Ce qui arrive.
Là, au milieu du mouvant tapis bleu dans lequel on pourra plonger à satiété, pour le plaisir ou pour atténuer momentanément la brûlure du soleil, on savoure la partie de pêche. Même si on ne prend rien.
Et, quand vient l’heure du déjeuner, on arrête le bateau, d’abord pour le pastis, pour le spuntinu ensuite. Et si l’on veut tromper l’attente, on accoste le temps d’une petite sieste, allongé au soleil, le corps baignant à moitié dans l’eau pour se rafraîchir. Au plus loin de la plage sous les ombrages.
Je me souviens aussi. Après les Sanguinaires, le bateau qui remonte jusqu’au golfe de Porto et aborde Scandola où la réserve interdit la pêche. Là où on s’approche doucement des fissures de la roche rouge qui monte vers le ciel. Où le trou d’aiguille qu’on vise s’avère être un tunnel qui débouche sur une crique sensuelle, sorte de piscine naturelle où s’ébattent des poissons. Pas farouches ceux-là puisqu’ils viennent manger le pain qu’on tient dans la main ou dans la bouche en les rejoignant au fond de la piscine. Et la visite continue, de trou d’aiguille en trou d’aiguille, de crique en crique.
Jusqu’au fameux port de Girolata. Petit bijou auquel on ne peut accéder que par la mer. Ou à pied par la montagne. Comme le fait le facteur tous les jours. Un classique de la télé. Le bateau amarré, la récompense d’un verre dans la paillote locale. Et pourquoi pas manger un morceau ou dormir dans un gîte. Non sans avoir été se promener sur les hauteurs du village, pour contempler le petit port. Comme un écrin translucide où dorment barques et bateaux.
À moins qu’on reparte au coucher du soleil. En se laissant envelopper par un des plus beaux paysages de Corse, le regard tourné vers le large ou mieux vers les falaises rougeoyantes au faîte desquelles tournent les aigles des mers. Comme une sorte de miracle visuel qui se prolongera jusqu’aux Sanguinaires, avant le virage, à la nuit tombante, vers le port d’Ajaccio.
Je me souviens encore. Des balades plus rapides dans le golfe d’Ajaccio, cette fois sur un catamaran. Assis ou debout à l’arrière ou étendu sur le filet avant d’où giclent les embruns. La course folle vers le large, le soleil, le vent et la mer à perte de vue. Et parfois les dauphins qui, dans leurs courses folles, passent en riant.
La musique, le rosé, le pain, les tomates et les oignons croqués à pleines dents, et le reste. Et, après un piqué vers le sud et un retour vers la côte, l’ancrage dans le port. Les plongeons, les jeux, les baignades. Avant le retour en fin d’après-midi, soûlés de souffle, de lumière. Grillés et fatigués. Comme un gigantesque tour de piste rythmé par le claquement des voiles.
Je me souviens toujours. De ce plus gros bateau d’où les hommes lançaient leurs filets. Lorsqu’il fallait enjamber les cordages et les chaînes. Et éviter de déranger ceux qui travaillent en parlant plus fort que le bruit des moteurs. En tentant d’identifier les espèces recueillies dans les gigantesques épuisettes.
Je me souviens, encore et encore, de toutes ces façons de parcourir la mer, cette fois moins loin des côtes. Du lent et désuet pédalo. De l’anachronique kayac, un peu barbant à la longue, à moins qu’on veuille faire de l’exercice. De l’efficace planche à voile, si tant est qu’on ait le sens de l’équilibre et, surtout des vents. Du surf, si éreintant pour le profane qui peine tant à l’emmener au loin pour tomber au retour et si merveilleux pour le « pro » qui a su trouver la bonne glisse jusqu’aux abords de la plage avec la savoureuse impression de dominer les vagues en les survolant. Sans parler de ceux qui les quitteront en kite-surf pour faire des loopings dans le ciel. Une des disciplines les plus dures du genre, très pratiquée dans les « spots » de la région de Bonifacio.
On n’oublie jamais la mer.
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