La corse à cheval |
L’histoire de Hussard, le cheval qui savait si bien ruser avec l’allure : être à la traîne du groupe la plupart du temps et en prendre la tête, au dernier moment, quand on ne l’attendait plus.
Avant de prendre sa retraite, Hussard était un vrai professionnel. Un cheval qui ne payait pas de mine, mais qui savait y faire. Le genre à s’économiser dans les raidillons de montagne. À ne pas s’emmêler les sabots dans les pierres, à ne pas glisser, à trouver le passage dans la rocaille, à prendre le chemin parfois le plus long, mais le moins fatiguant pour lui et son cavalier. À s’économiser, à ne pas tenter de rattraper bêtement celui qui le précède, à ne pas se mêler des veines querelles entre chevaux. À s’écarter pour laisser passer les présomptueux.
Et puis, surtout, Hussard, comme un vieux coureur de fond, savait partir lentement, pour arriver plus vite. Et, dans une longue randonnée, lorsque le soleil tapait fort avant la halte du midi, s’il était contraint de galoper pour faire plaisir à celle ou celui qui le montait, il le faisait « en dedans » comme disent les coureurs cyclistes. Sans dépenser bêtement son énergie dans des courses inutiles. Et le cavalier pouvait le pousser des talons, il gardait son rythme, même s’il faisait semblant de l’augmenter, afin sans doute de lui faire plaisir. Comme s’il savait, en vieux briscard, qu’il fallait toujours avoir l’air « d’en donner un peu » à l’autre du dessus qui se prend pour un Indien. Et finalement, c’est comme ça que, mine de rien, Hussard se faisait respecter.
Et s’il « trempait sa chemise » de vieux canasson, comme ses copains, il le faisait sans exagération. Son locataire, reconnaissant, s’en rendait d’ailleurs compte lorsque, à la halte, il le débarrassait de sa selle pour le laisser se sécher et reprendre des forces.
Au retour, Hussard partait encore lentement et, sentant sans doute que son cavalier d’un jour avait fini par l’aimer, commençait à faire le cheval. À accélérer l’allure, à prendre quelques risques dans les hautes herbes, les pierres, l’eau des ruisseaux, les buissons épineux et les branches menaçantes. L’autre pensait qu’il avait fini par le dominer. Mais c’était le contraire. Et le maître, tout théorique, l’acceptait bien volontiers. En ne regrettant pas d’avoir, par défaut, choisi Hussard alors qu’il avait voulu prendre Opium. Sans doute à cause du nom. Et plus le soleil déclinait, et le point de retour approchait, et plus Hussard galopait fort. Finissant par prendre la tête de la petite troupe chevaline et humaine qu’il avait auparavant suivie, alors qu’il s’était contenté de trotter sur le serpent routier si funeste aux fesses de son cavalier. Et Hussard, au finish, était arrivé le premier, le genre « et qui on est ! », ce qui sonnait la fin d’une balade prenant le tour d’une course. Comme si, finalement, la relation entre un cheval et son cavalier méritait mieux que les paysages qu’ils avaient tous deux traversés. La montagne, le ciel, le soleil, les sentiers, la neige au loin, le lac de Tolla, tout bleu en bas, les volutes de nuages comme dans les rêves enfantins (« Volutes partent en fumée » chante Bashung). La Corse quoi… Un rêve quasi amniotique, une histoire de cordon ombilical qu’il faudrait couper. Mais c’est une autre story.
En tout cas, la randonnée à cheval, qu’elle dure deux heures, une journée ou plusieurs jours en empruntant les chemins du maquis, les sentiers de montagne, le lit des ruisseaux ou les plages, est une des plus belles manières de découvrir l’île. Qu’il s’agisse du rapport étrange, mais parfois étroit, qu’on peut entretenir avec sa monture, des sensations visuelles, olfactives et auditives qui se dégagent des paysages ou des relations conviviales qu’on peut entretenir avec les autres lors des promenades équestres. Sans parler des pique-niques, des haltes dans les bergeries, les bars ou les auberges des villages traversés. Sorte de « troisième mi-temps » festive qui ponctue ou conclut la randonnée.
Et ceux sans qui tout cela serait impossible, les chevaux, sont des créatures assez irrationnelles, parfois incontrôlables, lorsqu’ils prennent une branche pour un serpent, lorsqu’un bruit inconnu les perturbe, lorsqu’ils veulent garder leur place dans la file ou lorsque les autres, qu’ils veulent suivre, se lancent au galop. Difficile alors de les maîtriser, même si, dès le début, on leur a montré, surtout sans violence, qui était le patron. Le reste n’est qu’une question de fermeté, de pratique, d’habitude. Même si parfois les cavaliers les plus émérites, surtout ceux-là d’ailleurs, ne peuvent éviter la chute.
Les montures de randonnée sont généralement issues de croisements entre des chevaux d’origine corse et des anglo-arabes, arabes tout court ou américains (genre apaloosa) reconnaissables à leur robe claire ou mouchetée de noir et marron. Ceux qu’on trouve en Corse, compte tenu du relief, sont généralement des randonneurs nés. Croisés avec des chevaux arabes (dressés pour la chasse et les longues distances, donc résistants), ils deviennent excellents.
Ces races bêtes racées sont aussi utilisées pour les compétitions de randonnées sportives où la place au classement du cheval compte autant que son état physique aux étapes ou à l’arrivée. Question de régularité où le cavalier joue un aussi grand rôle que son complice à quatre pattes.
De plus en plus de jeunes, et particulièrement de jeunes filles, pratiquent ce sport. Notamment au centre équestre de Tavaco, dirigé par Jean-Marie Pasqualaggi qui, outre les promenades dans la vallée de la Gravona où excellait Hussard, organise des randonnées dans toute la Corse. De Porticcio à Propriano en passant par Porto Pollo jusqu’aux plages de Tizzano. Du col de Vizzavona à Bastelica, en passant par Capanellu et le lac de Tolla, avant de rentrer au bercail à Tavaco. Mais tous les centres équestres, et ils sont nombreux, proposent des balades du même type dans leur région d’origine ou aux quatre coins de l’île. Les randonnées plus ou moins longues sont entrecoupées de pique-niques, de nuits en refuge, en bergerie, en gîte, ou de bivouacs en plein air. Le bonheur, quoi !
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