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Par Fran�ois L�otard

Un peu d�espaces pour nos mythes�

Le 5 Ao�t dernier, au d�but de l�apr�s-midi, quelques humains parmi les plus comp�tents de notre �poque envoy�rent vers Jupiter une longue fus�e qui t�moignait, si besoin �tait, de toutes sortes de vertus : le courage, la curiosit�, l�anciennet� de leur culture, la ma�trise des outils de la modernit�, etc�

Les Am�ricains, Cap Canaveral, la N.A.S.A, le nuage de feu qui accompagne le d�part, le grondement effrayant des premi�res secondes, la petite �pine de m�tal qui dispara�t dans l�espace, tout cela nous le connaissons�Nous y sommes m�me habitu�s�
Je souhaite seulement m�attarder un instant dans cette chronique sur le contenu de la fus�e. Enfin�sur une toute petite partie du contenu. En effet la fus�e transportait vers l�infini du ciel une sonde destin�e � explorer les entrailles de l�espace et plus particuli�rement la masse gazeuse que nous avons appel�e depuis quelques si�cles : Jupiter.
La sonde s�appelle Juno, la plan�te se nomme Jupiter, la dur�e de vol sera de cinq ans et j�ai entre les mains, sur le r�cit de cette vaste et imperceptible aventure, une photo. Avec un sens aigu de l�ironie, avec �galement un clin d��il culturel qui r�cuse toute p�danterie, les ing�nieurs de la N.A.S.A. ont install� dans la sonde trois petites figurines. Naturellement, elles sont confin�es dans un espace minuscule et coinc�es entre des appareils mirobolants destin�s � nous informer de la nature-m�me de la plus grosse plan�te du syst�me solaire. Dans un commissariat on appellerait cette d�marche un banal contr�le d�identit�
Qui sont exactement ces trois petits personnages en plastique ? De quoi sont-ils faits ? Que veulent-ils dire ? Et � qui ? Ces questions peuvent recevoir une multitude de r�ponses, diff�rentes, contradictoires, amusantes�En cela, elles sont bien les questions d�aujourd�hui : nous savons que les humains de notre si�cle pr�f�rent multiplier les interrogations pour ne pas prendre le risque, en r�ponse, d�une affirmation unique et p�remptoire. D�finitive.
Il y a l�, c�te � c�te, leurs yeux aveugles tourn�s vers la nuit de l�espace, un Jupiter barbu, une Junon portant une sorte de bouclier, un Galil�e qui semble supporter avec l�g�ret� le globe terrestre. Tous les trois sont en plastique, tous les trois sont fabriqu�s par une entreprise que nos enfants ont pl�biscit�e sous le nom de LEGO. Ce sont trois petits personnages tr�s vieux et tr�s modernes � la fois.
Il est peu probable que la sonde peupl�e de ces passagers inertes soit l�objet, dans sa travers�e de l�espace, d�une attaque � main arm�e�Nous ne sommes pas dans les quartiers Nord de Marseille�Il s�agit donc d�une plaisanterie sans public, sans auditeurs, sans conclusion�Elle honore ceux qui l�ont imagin�e. Il est en effet r�confortant de penser que dans les laboratoires de la N.A.S.A., il y a des ing�nieurs qui jouent avec des LEGO�

Il est plus r�confortant encore de deviner les questions qu�ils ont pu se poser en installant ce trio.
1/ Que dira Galil�e, dans sa parole muette, renferm�e, au sujet de Jupiter, alias Zeus, Roi des Dieux, que les Grecs appelaient � l�assembleur des nuages � ? Ce sera dans cinq ans � son arriv�e dans la brume de la plan�te�Je suis s�r que comme d�habitude, dans sa barbe, il va bougonner�
2/ Que va faire Junon, �pouse de Jupiter, patronne supr�me des m�res de famille, � Juno Matronalia �, lorsque, de si loin ( mais en fait c�est la banlieue), elle verra la situation des femmes dans le monde d�aujourd�hui ? Ovide nous raconte qu�elle voulait faire un enfant sans p�re�C�est tr�s moderne tout �a�
3/ Que va penser Jupiter en voyant arriver sa petite figure en plastique, ridicule, touchante, immobile et sans pouvoir, Lui, le Souverain du Ciel et de la Terre ?
Je crois qu�au fond les chercheurs de la N.A.S.A. ont voulu se moquer d�eux-m�mes et de la pauvret� de nos croyances. Ils savent probablement que dans la version grecque de la mythologie Zeus viola sa m�re, ne pouvait pas ma�triser ses d�sirs, enleva sa femme, tenta d�abuser d�elle et finalement passa avec elle une nuit de noces qui dura trois cents ans�De quoi r�ver�

Fran�ois L�otard


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